C’était initialement prévu au printemps. L’inauguration du futur “Pôle des savoirs” de la Province à Bavière, dans lequel les Chiroux vont déménager, est maintenant prévue les 20, 21 et 22 juin pour les fêtes de la musique. Grosso modo, la bibliothèque amirale de Liège y récupèrera le même espace qu’à la rue des Croisiers, soit environ 8000 m². Mais le problème, c’est qu’il faudra partager la superficie avec de nouveaux services, en plus des bouquins et de la musique: espaces de travail ou de création, salle d’expo, consoles de jeu en libre-service, événements… et même un espace brasserie.

Pour gagner de la place et intégrer cette nouvelle offre, il a donc été décidé de se débarrasser d’une certaine quantité de livres (et aussi de CD) avant la migration. Ce qu’a officiellement confirmé la Province de Liège, qui parle d’élagage. D’habitude, l’opération a pour but de conserver la variété et la qualité des collections. Plusieurs exemplaires inutiles d’un même livre peuvent également être sortis du circuit. Mais, en vue du déménagement, ce sont d’énormes quantités qui ont été sacrifiées! Beaucoup trop, selon plusieurs bibliothécaires qui, dans un climat de travail tendu, ont tous préféré garder l’anonymat.

Combien? A la Province, on ne souhaite pas communiquer sur les chiffre, vus comme “sans intérêt”. Selon des documents internes que nous avons pu nous procurer, il s’agit d’au moins 25.000 livres. Mais c’est probablement beaucoup plus, ce que nous confirment d’autres témoignages parlant au moins du triple. Un employé nous le montre, en photo: “j’ai vu partir 5 containers de livres jetés pêle-mêle“. De son côté, Daniel, un bouquiniste, qui est passé par là pendant l’opération, en a profité pour en sauver quelques-uns et confirme qu’il a vu au moins 15.000 ouvrages jetés. La province, suite à une interpellation de deux conseillers PTB, indiquait en juillet que sur 347.805 documents présents aux Chiroux, 157.878 ne se retrouveront plus à Bavière et assure que seuls 30% seraient retirés définitivement. Ce qui fait au moins 47.363 documents potentiellement jetés dans la version officielle.

Simple gros élagage “responsable”? “Autant de livres abîmés au point qu’ils ne servent à personne, cela me semble difficilement possible car, au fur et à mesure que les livres rentrent, on enlève ceux qui ne peuvent plus être empruntés. On les répare ou on les jette si l’état est pitoyable. Faire relier coûte trop cher si ce n’est pas un document unique ou rare ou particulièrement intéressant. Donc l’élagage pour cause de mauvais état se fait couramment chaque jour ou chaque semaine. Ici c’est un élagage exceptionnel pour déménagement. Ce qui est supprimé ne doit pas être déménagé“, analyse une bibliothécaire retraitée des Chiroux, qui n’a pas envie de démolir à visage découvert une institution où elle a été bien traitée humainement. “Ils prennent l’excuse que certains livres n’ont plus été loués depuis longtemps…. mais il y a eu la période Covid pendant laquelle on louait forcément moins“, relève une autre observatrice. Ce que confirment les chiffres officiels faisant état de 473.400 prêts en 2019… contre seulement 188.064 en 2021.

Lors d’une réunion interne en présence de la directrice, Bénédicte Dochain, (dont le PV nous a été transmis) des bibliothécaires se sont officiellement plaints d’avoir eu à “jeter des ouvrages en bon état, parfois quasi neufs et n’étant presque jamais sortis.”

Où sont allés ces livres jetés?

D’après le député provincial Luc Gillard, qui avait réagi vertement sur Facebook à notre précédent article, ils sont censés soit être mis en réserve et disponibles sur demande, soit donnés à d’autres bibliothèques, aux écoles et bibliothèques sinistrées ou à des associations culturelles et/ou à finalité sociale. Mais il s’agit d’une proportion relativement faible, relèvent plusieurs sources. D’ailleurs, le Kiwanis, opérateur local incontournable qui organise chaque année la plus grande foire aux livres de Liège, n’avait même pas été contacte dans ce cadre. Ce que nous avions vérifié. Après notre premier article, ils en ont finalement reçus quelques cartons.

Des bouquins ont aussi été redistribués, en quantités limitées, dans une opération de bookcrossing “cosmétique” promue dans une opération de communication lancée par la Province, également dans la foulée de notre premier article.

Bref, des distributions associatives marginales. Et, de toute évidence, le conditionnement méli-mélo en containers (comme le montrent les photos) n’est pas le plus adapté à ce genre de finalités.
Selon nos informations, recoupées par une enquête sur place, un certain nombre de containers ont en réalité été expédiés chez Intradel et ses filière de recyclage.

Les livres qui sont maintenant introuvables, non réédités et plus spécifiques où sont-ils? Je suis en attente d’une réponse de Monsieur Luc Gillard concernant les biographies littéraires (une mine d’or), les CDS et les DVDS ainsi que concernant les livres d’art“, questionnait une bibliothécaire, à l’entame de l’été, sur la page facebook du député. “Je n’ai toujours pas eu de réponse“, souligne-t-elle. Le problème, c’est que l’on compte sur les Chiroux pour jouer accessoirement le rôle de conservateur (au moins un exemplaire) d’ouvrages qui ne seront plus réédités et que l’on ne trouve pas sur le web et utiles à des étudiants, à des chercheurs ou simplement par souci de conservation. Une valeur patrimoniale en somme. Tous ne seront pas numérisés, sachant qu’il avait fallu une année complète pour simplement les répertorier. Sans parler des CD de jazz ou de musique classique, dont certains étaient très rares, et que l’on ne retrouvera probablement plus.

(Photos prises avant l’été)


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