Voilà que nous avons entamé le déconfinement. Nous croisons les doigts en espérant, toujours un peu plus fort, que cette fichue maladie soit « contrôlée », que nos proches ne soient pas infectés, que nous puissions revoir celles et ceux qui nous sont chers. Dans cet espoir général, teinté de craintes et de peurs, la période des examens est arrivée, et avec elle s’invite aussi le stress, l’angoisse, la nervosité et surtout la peur. Et même si parmi la population certains espèrent plus forts que d’autres, j’aimerais exposer à vos yeux les craintes, l’angoisse, la nervosité, la déception d’étudiants et étudiantes. Encore une fois, je n’ai pas prétention à l’omniscience, comme dans ma précédente carte blanche je vais vous exposer des situations individuelles vécues par des étudiants ou étudiants de Haute-Ecole, d’Ecole Supérieur des Arts (ESA), d’IFAPME et d’Universités, particulièrement d’ici, à Liège. J’espère, comme auparavant, que vous prendrez conscience de notre situation. Il y a un mois je dressais des constats, variés, sur l’échec de l’organisation des cours à distance, sur l’échec de la « continuité de l’enseignement ». Aujourd’hui, je m’interroge.

Quels objectifs poursuit-on ?

Je m’interroge sur les objectifs qui sont poursuivis par certaines méthodes d’évaluation. Dans une main nous devons garantir qu’une évaluation évalue effectivement la maitrise et/ou la connaissance d’une matière, et dans l’autre main nous devons lutter contre la triche. Ces deux objectifs rentrent en conflit dès que le second menace le premier. Les Institutions sont des grandes habituées des QCMs. Gain de temps non négligeable, ils sont surtout dispensés dans des grands groupes. A l’Université de Liège, comme dans d’autres établissements, les formulaires de QCMs remplis par les étudiants sont ensuite passés à travers une lecture optique qui automatise et systématise la lecture et le calcul des résultats. Cela fait longtemps que les QCMs sont attaqués de toutes part, nombreux sont en effet ceux qui décrient cette pratique qui n’évaluerait pas grand chose. Voici un exemple : pour un QCM de 20 questions à +1/-1, j’ai répondu à 19 questions sur 20. J’ai obtenu 14 bonnes réponses sur 20, 5 fausses. J’ai obtenu la note de 9/20. Ma voisine a répondu à 10 questions sur 20. Elle a obtenu 10 bonnes réponses, soit 10/20. J’ai échoué mais elle a réussi. Lequel des deux connaissait mieux sa matière ? Je m’interroge. Pour la session qui arrive, certains professeurs souhaitent appliquer le +1/-2. Selon cette pratique je n’aurais pas eu 9 mais 4/20, alors même que j’ai eu plus de bonnes réponses que ma voisine, qui elle a 10. La cotation, premier paramètre d’un QCM, n’est pas cohérente avec l’objectif.

Un QCM s’organise aussi pendant une durée qui varie souvent en fonction du nombre de questions. Souvent. Pour ce même cours où j’ai obtenu 9/20, j’avais droit à 2h. D’autres étudiants pour un QCM à 40 questions ont droit à 2h. Et puis d’autres encore, qui suivent les cours de Christian Berhendt, doivent réaliser un QCM de 40 questions en 1h, dont des questions de recherches pures : la question comporte un extrait d’un recueil documentaire de 600 pages que les étudiant doive retrouver dans ce même recueil, en 45 secondes. Pour cette session d’examen, des professeurs vont diminuer le temps maximum. Pour 60 questions, on passe de 2h à 1h. L’argument est qu’il « faut éviter que les étudiants n’aillent dans leur syllabus ». On est donc prêt à mettre en péril la réussite du groupe tout ça parce qu’on a « peur » que des personnes ne trichent. Comme si dans le fond la réduction du temps empêcherait ceux et celles qui voudraient tricher de s’exécuter. Dans les faits, vous n’avez effectivement plus qu’une minute en moyenne pour répondre, sauf si vous décidez de répondre à 20 questions sur les 40, vous avez en moyenne 2 minutes de temps de recherche dans votre syllabus. Cette mesure, en plus d’impacter négativement tous les étudiants, n’apporte aucune garantie aux Institutions. Un professeur de droit à HEC-Liège a dit à ses étudiants qu’il était abasourdi de ne pas voir de dispositifs de contrôle comme à l’UCL à Liège. Résultat ? 1h, 60 questions, pas de retour en arrière. La dernière absurdité concerne la Faculté de Médecine où les étudiants ont 2 heures pour réaliser 300 questions. Le temps imparti, second paramètre d’un QCM, est incohérent avec l’objectif.

Au « problème » soulevé précédemment, les professeurs ont trouvé une parade : le non retour en arrière, d’une part, et la contrainte de temps par question, d’autre part. Prenez Julien, il doit réaliser un QCM de 40 questions en 60 minutes. Il a droit à 1 minute 30 de temps de réponse imparti. Passé ce délai, l’interface passe à la question suivante, qu’il ait répondu ou non. L’interface empêche également Julien de revenir en arrière, pour modifier sa réponse. Pour la session qui arrive, ce seront donc des QCMs avec une cotation disproportionnée, un temps de réponse global trop court, un temps de réponse par question inadapté et une impossibilité de changer sa réponse. Quid de tous ces étudiants qui survolent une première fois le questionnaire et qui le remplissent dans le désordre ? Imaginez maintenant que mon ami Julien soit suivi par le Service Qualité de Vie de l’ULiège, par un psychologue ou qu’il soit sorti des soins intensifs il y a 1 semaine, après un séjour de 2 semaines. Je m’interroge : va-t-il réussir le QCM, étude ou pas ? Julien et tant d’autres vont se voir sacrifiés, au nom de la lutte contre la « triche ». Avec cette méthode, qu’évalue-t-on réellement ? La maîtrise des étudiants ? Leur(s) connaissance(s) ? Ou plutôt leur réactivité, leur résistance au stress ? La cohérence de l’évaluation est abandonnée pour « empêcher la triche ». Le dernier paramètre d’un QCM, le paramètre réponse, n’est pas non plus cohérent avec l’objectif.

L’ULiège, entres autres, par l’entremise de ses facultés, a adopté des méthodes d’évaluation très contraignantes, comme on l’a vu. Ces mesures empiètent démesurément sur les évaluations, et sur la réussite des étudiants. Pierre Wolper (recteur de l’université de Liège, ndlr) affirme que lui et ses collègues ont opté pour « la confiance » : il ne s’agit là que d’une vulgaire communication, toujours et encore creuse et d’une hypocrisie lassante. Les Facultés et les membres de l’ULiège ne font pas confiance aux étudiants : jeudi 28 juin, lors d’un conseil de faculté en Faculté de Droit, Sciences Politiques et Criminologie, le doyen, M. Yves-Henri Leleu a déclaré que « les taux de réussite aux examens étaient trop élevés » et qu’il allait devoir « rappeler les étudiants à l’ordre ». Suis-je le seul à être choqué et outré par cette déclaration ? Que l’on ne vienne plus me faire croire que les établissements ont pour seul objectif notre réussite : ils ont des quotas et décident arbitrairement, sans se baser sur des valeurs et des critères pédagogiques, qui passe et qui casse. Les propos de M. Leleu sont d’autant plus insultants qu’ils supposent, sans aucune preuve, et alors même que sa faculté est parmi les plus répressive, que les étudiants doivent leur réussite grâce à la triche, et non pas à leur travail. Paradoxalement, il reconnaît alors que toutes les mesures répressives ne sont d’aucunes utilité, et que du même coup, on pourrait s’en débarrasser. Dans un sens, cela est même insultant pour le corps professoral, accusé par le même coup d’incompétence (au vu de ce qui s’est passé durant le confinement, la question de leur utilité dans l’apprentissage des étudiants a cependant le mérité d’être posée). Mais pas de tracas : l’ULiège fait confiance.

La semaine précédente, des étudiants de Bloc 1 en Sciences Sociales ont du passer un examen de Véronique Servais, Vice-Doyenne à la Recherche. Elle envoie un mail, 2h avant l’examen, pour annoncer (et changer les modalités) que le QCM comportera entre 15 et 20 questions, alors qu’il y en avait bien plus. L’examen en tant que tel comportait des images qui ne s’affichait pas chez certains, et ses questions étaient comportaient des fautes d’orthographe et des fautes de frappe (comme des lettres inversées).

Quel sens de la moralité pour les examens ?

Je m’interroge sur l’idée que l’on se fait de la triche. Il faut rappeler que la notion de triche est toute relative aux règles. Il existe des méthodes éducatives (comme la pédagogie Freinet et Montessori) actives, plaçant les individus en situation d’apprentissage. Si la crainte est que les étudiants trichent en utilisant les syllabi, pourquoi ne pas se concentrer sur des méthodes pédagogiques qui les mobilisent et les incluent dans les situations d’apprentissage ? J’ai déjà passé des examens à « cours ouvert » par exemple, et je me souviens encore très bien de ce que j’ai appris, parfois bien plus que les cours où il faut ingurgiter de la matière. Nous sommes bien d’accord, certains cours ne s’y prêtent pas. Le vrai problème n’est pas tellement le fait que le cours ne soit pas adaptable, mais plutôt qu’on n’ait pas pris la peine de l’adapter, très certainement parce qu’on « avait mieux à faire », un peu comme lorsque la Ministre de l’Enseignement Supérieur fait circuler une enquête et qu’on ne la fait pas passer aux professeurs d’université parce qu’ « ils ont déjà beaucoup de travail », nous dit Pierre Wolper. Le monde a changé, mais les méthodes pédagogiques sont encore les vieilles méthodes de 1815… Mai 68 est bien loin. Il me faut aussi souligner que la notion de triche doit être envisagée non pas comme « aller voir dans son cours » mais comme « un moyen de prétendre atteindre des objectifs pédagogiques sans réellement les atteindre ». Cela permet de relativiser nombre de comportements… Dans un article paru dans Le Soir, une professeure de psychologie expliquait que la triche lors des examens est une pratique largement sous-estimée, affirmant que des enquêtes ont montré qu’entre 80 et 90% des étudiants interrogés ont déjà triché. Même si j’aimerais beaucoup voir ces enquêtes, et en particulier les répondants qui ne sont vraisemblablement pas représentatifs, partons du principe qu’ils sont applicables à la société belge, la professeure de psychologie dépasse de loin l’entendement lorsqu’il s’agit de faire parler ces chiffres. Elle n’affirme pas seulement que la pratique est répandue, mais surtout qu’elle est donc à proscrire. Je ne suis pas d’accord. Je n’aime bien entendu pas la triche, mais empiriquement, force est de constater que si 80% de la population a triché à ses examens au moins une fois, alors 6.500.000 de belges qui travaillent quotidiennement ont au moins triché une fois pendant leur scolarité. Est-on en train de dire que ces personnes ne devraient pas être là où elles sont ? Qu’elles ne font pas bien leur job ? Que si elles avaient échoué tel cours, elles seraient « meilleures » maintenant ? Voilà une évaluation très pédante et très subjective. La professeure affirme par ailleurs qu’on ne voudrait pas d’un architecte qui ne connaisse pas son métier. La vraie question n’est pas celle-là, mais plutôt si les architectes qui exercent ont déjà triché sans avoir atteint les objectifs pédagogiques fixés par le cursus, ou dit autrement, si la triche masque le fait qu’ils n’avaient pas compris, ou simplement le fait qu’ils n’avaient pas assez de points. Il y a en effet une différence entre réussir un QCM et avoir atteint des objectifs pédagogiques… L’autre vraie question c’est aussi de savoir si la professeure de psychologie se situe dans les 80% d’étudiants qui ont déjà triché (et donc si c’est une mauvaise professeure, par essence), ou si elle se situe dans les 20%. Parce que le second problème de ces chiffres, c’est qu’ils cherchent à légitimer un mode de pensée qui essentialise les étudiants : nous devenons des tricheurs en vertu du fait que nous sommes étudiants. Ainsi, tout raisonnement se fonde sur la croyance que les étudiants vont tricher, attaquant toutes celles et ceux qui ne tricheront pas. On laisse tomber la présomption d’innocence. Comme dirait mon ami Joachim Maes : « on préfère enfermer les innocents en prison sous la suspicion qu’ils deviennent un jour des meurtriers ». Que vont en penser nos comparses étudiants de Droit, Sciences Po et Crimino ? L’ULiège dit faire vœu de confiance, mais comment peut-on encore y croire ?

Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus bienveillant

Je m’interroge sur l’interprétation que font les Institutions de la bienveillance, et particulièrement l’ULiège… On parle de la bienveillance comme on respire : sans commune mesure et finalement, la banalité de l’acte amène à justifier une multiplicité des usages. La bienveillance pourrait tout autant s’appeler « emploi de logiciels espions pour vous surveiller », on la consommerait quand même. Force est de constater qu’il n’y a eu que peu d’aménagements de la part des professeurs… Prenez cet étudiant qui a publié un message sur un groupe Facebook destiné aux étudiants de Liège. Il dit avoir un certificat médical après avoir passé entre 2 et 3 semaines aux soins intensifs suite à une contamination au Covid-19. Le voilà qui sort de l’hôpital quelques jours plus tard et il envoie un mail à son professeur car il n’a pas été dans l’état de rendre des TP (travaux pratiques) (il semblerait qu’il y en ait eu plusieurs). Je vous donne en mille la réponse du professeur : « Tu réapparais à trois jours du dépôt du TP. Je suis bien désolé, mais je dois te rappeler que, coronavirus ou pas, le règlement des études et des examens impose, aux étudiants, une présence obligatoire aux travaux pratiques, qui ont continué à être organisés, malgré le confinement ». Le mail continue mais nous ne pouvons voir la suite. Avons-nous réellement besoin d’en voir la suite ? Si cela avait été son fils ? Et si cet étudiant avait frôlé la mort comme ça peut bien être le cas ? Et s’il était mort ? Où est donc passée la flexibilité ? Ou est donc cette bienveillance ? Ce cas est représentatif des biens d’autres. L’université a dû intervenir, mais cela n’aurait jamais dû arriver, à cet étudiant et à tous les autres. J’écrivais dans une carte blanche précédente que les étudiants n’avaient pas le droit de tomber malade. En voici la preuve… Pourquoi rien n’a-t-il été mis en place pour garantir cette « continuité des apprentissages » ? Pourquoi une trop grosse majorité de professeurs n’a-t-elle rien fait pour permettre à ceux qui ont été, sont et seront malades de suivre les cours ? Dès le moment où vous tombez malade, autant dire que vous n’avez plus vraiment les facultés de travailler, surtout à l’hôpital, sans parler des soins intensifs où certains patients sont plongés dans des comas artificiels, pour plusieurs semaines souvent…

« Nous sommes prêts »

Je m’interroge sur la capacité des universités à organiser des examens en ligne. Le 24 mars, Pierre Wolper affirmait que « L’ULiège était prête à organiser des examens à distance ». Le premier jour de la session, soit le lundi 18 mai, les serveurs de la plateforme utilisée crashent: trop de trafic. Cela fait 3 mois que des voix s’élèvent pour s’assurer que tout est en ordre, et rien que le premier jour, le système plante. Ce qui est révoltant, c’est la minimalisation du fait en soi : si ceci avait été assigné comme un examen à un groupe d’étudiants, nul doute qu’ils auraient échoué à leur examen. Par ailleurs, quelques informaticiens m’ont confié que c’était selon eux « intolérable » : « c’est leur job de s’assurer que ce genre de problème n’arrivent pas. Il y a des problèmes qui sont prévisibles, et la gestion du trafic est l’un d’entre eux. Dans le privé, cela ne passe pas ».

Mensonges et manipulation

Je terminerai avec ce paragraphe. Le jeudi 7 mai, la Fédé, via l’entremise d’Alice Lacroix, sa présidente, a obtenu du Rectorat (M. Wolper, Mdm. Nyssen et M. Cloots) après une discussion avec Rudi Cloots, que l’Université de Liège impose aux facultés la possibilité de revenir en arrière dans les questionnaires de QCM. Une heure environ après l’appel matinal, M. Cloots indiquait à Alice Lacroix par mail qu’ils avaient pris la décision d’accéder à sa demande. La communication des Autorités à leurs collègues des facultés a en revanche tardé jusqu’au lundi 11 mai. A cette date, un grand nombre de faculté avaient pris des décisions concernant leurs examens, et avaient décrété qu’ils n’autoriseraient pas, sauf exceptions marginales, le retour en arrière. Jeudi 14 mai, Madame Nyssen envoyait un message à la communauté universitaire : le Rectorat n’imposerait pas le retour en arrière car « une règle qui imposerait un des paramètres sans se préoccuper des autres n’aurait guère de sens». Avec cette communication, le Rectorat affirme qu’il ne tiendra pas sa promesse. Ce message de Madame Nyssen est d’autant plus paradoxal qu’elle déclarait au Soir il y a quelques semaines: « D’un point de vue cognitif, il faut être respectueux de la manière dont les étudiants abordent un examen, qui n’est pas forcément linéaire. Notre philosophie, c’est de ne pas mettre en place des dispositifs anti-fraude qui handicapaient les performances de l’étudiant ». Mon texte est déjà long, je vous laisse en âme et conscience décider du degré de lâcheté de mon université quand il s’agit de tenir ses promesses et engagements. Si « mettre un short n’amène pas la pluie », décider amène à des conséquences. Et il serait bon que ceux qui veulent se faire appeler les « Autorités » se souviennent que si leurs décisions ne les impactent que marginalement, elles décideront de notre futur, à nous, les étudiants. Dans tous les cas, une chose est sûre : les étudiants de l’ULiège ne laisseront pas impunis tout ce qui a été vécu durant cette session. Notre « Alma Mater » a du soucis à se faire. « Nous voulons la justice et n’avons que faire de votre charité».

Prenez soin de vous et de ceux que vous aimez,

Thomas Ravanelli
étudiant en 3ème bachelier en Langues et Littératures Germaniques à l’ULiège

Titre d’origine: Examens : Nous voulons la justice et n’avons que faire de votre charité


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